Je voudrais m’adresser à vous élus sénateurs du groupe communiste à propos du vote concernant le génocide arménien.
J’ai laissé passer le temps avant de vous écrire, pour éviter que la colère ne soit mauvaise conseillère. Mais qu’aujourd’hui encore des élus de notre groupe se joignent à d’autres pour présenter un recours au conseil constitutionnel ne peut que me pousser m’exprimer publiquement.
Ainsi donc le groupe communiste s’est divisé en trois sur ce vote.
Je ne suis pas un inconditionnel de l’unanimité, mais ne peux que constater que, sur cette question, votre division a contribué à faire oublier que les communistes ont été parmi les premiers combattants de la reconnaissance du génocide arménien dans notre pays. Et que des hommes comme Guy Ducoloné, ou des femmes comme Hélène Luc pour ne citer qu’eux, ont porté haut et parfois bien isolé, ce combat.
Ces votes contre, ou refus de vote de sénateurs communistes ont aussi accrédité l’idée que ces combats pour des valeurs fortes, n’auraient plus rien à voir avec des engagements politiques collectifs et qu’au fond tout cela ne dépendrait plus que de visions personnelles.
Cela ne me réjouit pas.
Car enfin de quoi s’agit-il ? D’entraver la recherche historique ? Nullement ; la loi Gayssot n’a jamais empêché les chercheurs de travailler. Le temps et l’expérience l’ont montré. La politique n’a certes pas à trancher des recherches historiques, mais ce n’est pas de cela dont il s’agit. Il est, par contre, de sa responsabilité de faire reconnaître les abominations qu’une société, un système ont commis et d’agir pour que ces phénomènes ne se reproduisent pas.
Oui, il est de notre devoir d’hommes politiques et d’élus de ne pas accepter la négation du génocide subi par le peuple arménien. Ne pas l’accepter, y compris par la loi, c’est prendre parti pour que cela ne se reproduise plus jamais.
La reconnaissance du génocide arménien vous semble plus difficile à défendre que d’autres ? Réfléchissons, n’est-ce pas aussi parce que le peuple arménien a perdu la guerre. Y aurait il eu Nuremberg si les nazis avaient gagné ? Comme homme politique et comme communiste, on ne peut laisser les vainqueurs décider de l’histoire.
Car c’est de cela et de cela seulement qu’il s’agit.
Il suffit de voir les réactions des autorités turques. Elles ne s’embarrassent pas de demi-mesures ni de mots en demi teintes et parlent carrément d’un « soi-disant » génocide.
En votant contre, vous avez prêté votre voix à ceux qui luttent contre la reconnaissance du génocide et finalement vous êtes tombés dans le piège que vous dites avoir craint.
Qui peut vous en féliciter ?
En votant contre, vous n’avez pas rendu service aux victimes bien sûr, le peuple arménien qui vit avec cette plaie béante depuis tant de décennies, mais pas plus au peuple turc pour lequel la chape de plomb nationaliste a trouvé un énième argument.
Vous n’avez pas rendu service aux combats pour la reconnaissance d‘autres génocides.
Si je suis partisan de cette loi, ce n’est pas parce que je suis naïf devant l’opération politicienne d’un président qui ne trompe plus personne.
Si je suis partisan de cette loi, ce n’est pas seulement parce que fils d’arménien, je sais ce qu’il en coûte d’être nié dans son histoire et dans ses souffrances, que je sais le poids de n’être vécu que comme quémandant à d’autres un passé enfin reconnu par tous.
Si je suis partisan de cette loi, c’est aussi parce que je suis communiste et que je suis du côté des faibles et des victimes face aux puissants. Parce que je suis fidèle à ceux pour qui le premier idéal était de ne taire ni les injustices ni les crimes.
Et c’est pour cela que sincèrement, je remercie tous les sénateurs qui ont, avec dignité et courage, voté cette loi et parmi eux, ceux qui dans le groupe communiste ont ainsi été fidèle à ces combats.
Le Sénat, après l’Assemblée Nationale, au mépris des pressions, faisant entendre la voix de la justice pour les arméniens, l’a fait pour tous les peuples.
Comme être humain, comme français et comme communiste, je m’en réjouis.
Patrick Alexanian
Conseiller Général des Hauts de Seine.