Un texte signé de «professionnels du spectacle» essaie de noyer dans l’eau tiède d’un moralisme consternant la polémique - réelle - surgie à l’occasion de la destitution de Jean-Marie Besset de la direction du Centre dramatique national de Montpellier.
Il est affligeant de voir des gens de théâtre accourir au secours d’une «politique» culturelle aussi désastreuse.
Les leçons de morales des socialistes, qu’elles concernent la vie privée et sexuelle, la question de la prostitution par exemple, ou l’art et la culture maintenant, commencent à me gaver. La réalité que cette espèce de stratégie tente de masquer est autrement déplorable. Ici et là, on vire tout simplement et sans autre forme de procès, celles et ceux qui n’ont pas le profil.
Besset, par exemple, accusé d’être un produit du théâtre privé, alors qu’il est d’abord poète - et pas seulement metteur en scène- , programmateur de ceci plutôt que de cela, homme et pas femme. On lui reproche à la fois ses opinions politiques, son talent d’artiste, son sexe, pourquoi pas son orientation, bientôt sa race. D’autres sont dans la charrette, que je ne vais pas énumérer, Benoin ou Martinelli, pour ne citer que les plus célèbres. Les théâtres «ne leur appartiennent pas», ils ne savent pas «se corriger» (reproche adressé à Besset par «l’inspecteur» chargé de le liquider), ils ne répondent plus aux critères de «la parité» et tous ont été mis là par «le fait du Prince».
Autant d’arguments démagogiques, creux, atroces, utilisés pour justifier devant l’opinion publique qui n’aime que ça, voire humilier les intellectuels ou dégrader les hommes politiques pour des raisons sexuelles, un comportement dictatorial, partial et immoral.
Pour essayer surtout de faire passer cette pilule amère : la diminution tragique et irresponsable des crédits dévolus à la Culture.
Dire d’un théâtre qu’il n’appartient pas à celui ou à celle qui lui a consacré trois, six ou douze ans de sa vie est une infamie. Diriger un théâtre n’est pas occuper un poste ministériel ou de fonctionnaire. C’est une vie de combat, de fraternité et d’amour. Ne pas se plier aux modes que les journaux «branchés» essaient d’imposer aux programmations, et même les repousser de toutes ses forces, est une preuve de courage et d’indépendance. En faire le reproche à Besset pour justifier son éviction est un acte stalinien.
La parité, si elle a un sens en effet pour ce qui concerne la direction administrative, n’en a plus aucun dès qu’il s’agit d’art. Ariane Mnouchkine, ardente défenseure de Ségolène Royal et de François Hollande, n’a pas attendu de loi pour s’imposer comme l’une des plus grands metteurs en scènes du monde. Pas plus que la vague des écrivaines qui a submergé et bouleversé le territoire de la littérature, jusque-là occupé presque exclusivement par des hommes.
Quand au «fait du Prince», tout dépend du Prince. Quand Louis XIV défend Molière contre l’Hôtel de Bourgogne ou les dévots, il a raison. Quand Jeanne Laurent, au ministère d’André Malraux, impose Jean Vilar au TNP du Palais de Chaillot, elle a raison. Quand Frédéric Mitterrand impose Olivier Py, au mépris des querelles de clochers et malgré les peaux de bananes jetées par les socialistes pour faire déraper et échouer le projet, il a raison. La vraie morale, le vrai courage, c’est ça : savoir imposer aux ignares et aux intrigants l’évidence du choix de l’art.
Depuis que ce gouvernement socialiste est en place, le ministère de la Culture n’a communiqué que pour annoncer l’abandon des projets de son prédécesseur, et faire la morale à tout le monde. Tout en réveillant le pire ennemi de notre métier : la division. Aiguiser le conflit jeunes-vieux, hommes-femmes, «conservateurs»-«novateurs», est une vilaine action. Jamais un gouvernement de droite n’aurait osé faire ça. Jamais le milieu théâtral n’en aurait accepté le dixième d’un tel gouvernement. Là, au contraire, dans un esprit effroyable de courtisanerie et d’arrivisme, des hommes et des femmes de théâtre prennent parti contre leurs frères pour cautionner cette saloperie. Honte.
Philippe Caubère joue «le Mémento occitan» d’André Benedetto les 16, 19, 21 et 25 juillet à 22 h 30 au Théâtre des Carmes, à Avignon
Texte paru dans Libération de ce jour;