Le 22 avril dernier, entouré de la communauté arménienne de Bagneux, mais aussi de tous ceux et toutes celles qui défendent le travail de mémoire, j'ai prononcé le discours pour commémorer le génocide arménien de 1915-1916.
Voici le texte prononcé :
Mes chers Collègues,
Mesdames et Messieurs les représentants des associations arméniennes,
Mesdames, Messieurs,
Je veux tout d’abord excuser Marie-Hélène Amiable députée Maire de Bagneux qui n’a pu être parmi nous ce soir ainsi que M.Alexanian représentant de l’ambassade d’Arménie.
Je veux d’abord remercier les employés de notre ville qui hier et ce matin encore ont nettoyé, aménagé la place des marques du temps pour permettre cette cérémonie, remis la plaque vandalisé de notre square Kirovakan aujourd’hui Vanadzor.
C’est aussi cela le service public au quotidien.
Je tiens à vous remercier toutes et tous de votre présence pour commémorer ensemble l’extermination des Arméniens qui, entre 1894 et 1916, fit plus de 1.800.000 morts, soit près des 2 tiers de la population de l’Arménie.
Le 3 novembre 1896, dans un discours d’une étonnante actualité, Jean Jaurès évoquait, à la Chambre des Députés, les massacres en cours en Arménie et dénoncait les responsabilités et l’indifférence de la Russie, de l’Angleterre et de la France dans la situation de ce peuple martyr.
Ces gouvernements européens savaient tous que tôt ou tard, les Jeunes Turcs au pouvoir dans un empire ottoman démembré par le traité de Berlin, en finiraient avec l’enclave chrétienne d’Arménie.
C’est seulement le 23 mai 1915, après la première vague de déportation et d’extermination de 800.000 arméniens, que la Triple-Entente, France, Grande-Bretagne et Russie s’adresse à la Sublime Porte.
Ainsi écrivaient ils :
« En présence de ces nouveaux crimes de la Turquie contre l’humanité et la civilisation, les gouvernements alliés font savoir publiquement à la Sublime porte qu’ils tiendront personnellement responsables desdits crimes tous les membres du gouvernement ottoman ainsi que ceux de ses agents qui se trouveraient impliqués dans de pareils massacres. »
Déclaration forte, qui rappelle les attendus à venir du procès de Nuremberg…
Ce fut la première fois que dans l’histoire de l’homme que les mots « crimes contre l’humanité » furent utilisés dans un document officiel.
Et pourtant…
Rien !
Cette déclaration n’eut aucun effet.
En effet le 15 juillet 1916, l’ambassadeur US écrit à son ministère à Washington un texte ou son étonnement devant l’inaction de son pays est manifeste :
Have you received my 841? Deportation of and excesses against peaceful Armenians is increasing and from reports of eye witnesses it appears that a campaign of race extermination is in progress under a pretext of reprisal against rebellion.
Oui, ils savaient, ils n’ont rien fait…
Le massacre des Arméniens fut le premier génocide du XXème siècle.
Comment pourrions nous, en effet, qualifier autrement les évènements de 1915 et ceux qui les précédèrent qui virent l'extermination physique, intentionnelle, systématique et programmée d'un groupe d’individus en raison de ses origines ethniques et religieuses ?
Car c’est bien ainsi que la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée le 9 décembre 1948 par l'Assemblée générale des Nations unies, définit le génocide.
Et pourtant, aujourd’hui encore, certains continuent de contester avec violence l’utilisation du mot génocide pour qualifier les actes de l’empire ottoman au début du 20ème siècle.
Le 24 avril 1915, le gouvernement ottoman procède dans la nuit à l'arrestation de toutes les personnalités arméniennes intellectuelles et politiques de Constantinople.
Cette rafle ouvre, pour les Arméniens, une période de déportations systématiques qui tend finalement, à partir des provinces où la guerre se déroule, à leur élimination complète. En deux ans, plus d'un million de personnes trouve la mort dans des conditions horribles de barbarie.
Un chiffre incroyable mais pourtant évident.
Dès 1919, même du coté turque, est publié dans la gazette ottomane une estimation de 800 000 victimes. Et l’Allemagne publié deux rapports un en février 1916, et un autre en mai de la même année qui avancent le chiffre de 1.5 millions de victimes décimées.
Ainsi donc se trouve achevé en 1915 le processus qui avait fait venir au jour la question arménienne dans les années 1880 : les grands massacres de 1895 organisées par le Sultan Addul Hamid III, les supplices quotidiens, les spoliations, tout cela aboutit, à l'ombre de la Grande Guerre, à cette extermination générale sous le gouvernement des jeunes turcs.
Dans de nombreuses communes de France, nous rappelons chaque année, inlassablement, que l’inacceptable s’est produit il y a presque un siècle et qu’aujourd’hui, pour les victimes du génocide arménien et leurs familles, justice n’est toujours pas faite, même si d’importantes évolutions ont eu lieu ces dernières années.
En 1985, 70ans après, la commission des Nations Unies pour les droits de l’homme reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915. Le Parlement européen fera de même en 1987. La France, quant à elle, ne reconnaît officiellement le génocide arménien que le 29 janvier 2001.
Pourtant, aujourd’hui encore, nous devons manifester devant le sénat pour faire entendre la voix des arméniens. Pourtant, aujourd’hui encore, au parlement européen un amendement demandant à la Turquie de reconnaître le génocide arménien a été refusé.
Oui, il y a encore du travail de mémoire et de justice à faire.
Trop de pays refusent encore de reconnaître le génocide.
C’est le cas de la Grande Bretagne, du Danemark et d’Israël, bien que dans ce dernier, la plus haute autorité religieuse, le grand rabbin ait officiellement reconnu le génocide du peuple d’Arménie.
La Turquie refuse toujours de reconnaître son crime et persiste à nier l’intention d’extermination en minimisant l’ampleur des massacres. L’Etat turc veille d’ailleurs à ce que le mensonge perdure à coups de désinformation et de répression.
Ce faisant, il bafoue non seulement la mémoire des victimes mais il se mutile lui-même car un pays qui refuse de regarder les zones d'ombre de son histoire peut difficilement construire son avenir.
Au moment où la Turquie aspire à rejoindre la communauté européenne, elle s’honorerait en reconnaissant le génocide qui concerne les Arméniens, bien sûr, mais également l’ensemble de l’humanité.
L’Europe aurait-elle pu se construire si l’Allemagne n’avait pas reconnu sa responsabilité dans l’holocauste ?
Etre Arménien aujourd’hui, cela veut dire appartenir à une communauté, un peuple, dont la culture pluri-millénaire est une source de fierté ; mais c’est aussi être l’héritier d’une blessure qui ne pourra se cicatriser que lorsque justice aura été rendue.
Il y a un proverbe arménien qui dit :
Mieux vaut ne pas avoir d’argent que de ne pas avoir d’âme.
Et moi, militant laïque, je fais mien cette maxime. Qu’on l’appelle âme, valeur ou idéal, ce sont de tels sentiments qui forment des civilisations, c’est leur négation qui les détruisent…
Oui, Cette « âme » arménienne qui veut faire entendre le génocide, c’est l’âme de toute la civilisation, c’est l’âme des hommes qui veulent une société pour les hommes.
Car, la question arménienne est universelle.
Et ce n’est pas les événements actuels qui me démentiront. La société doit dire avec force son refus de la guerre, des massacres. Non l’inacceptable ne peut être accepté… Le dire pour hier c’est aussi le rendre plus fort pour aujourd’hui.
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